Michaël Jeremiasz, sur Paris 2024 : « il faut que ces Jeux permettent une prise de conscience de ce que vivent les personnes handicapées au quotidien »
Publié le 30.05.2023
INTERVIEW/VIDÉO - Mickaël Jeremiasz espère que les Jeux de 2024 feront évoluer les mentalités sur le handicap. Le champion paralympique de tennis fauteuil est revenu sur son parcours, de son accident de ski jusqu’au sommet du tennis fauteuil français. Il s’est aussi exprimé autour du tabou de la sexualité des handicapés.
« Le réveil est difficile, on a peur, on ne sait pas ce que c’est », se remémore Mickaël Jeremiasz. À 18 ans, il ouvre les yeux dans une chambre d’hôpital. Il vient de faire une terrible chute en ski. Il est paralysé du nombril aux orteils. « C’était il y a 23 ans ! À l’époque, on ne parlait pas du tout du handicap. Je n’avais aucune idée de ce que c’était que d’être en fauteuil roulant, donc ça a été une très longue période d’interrogation, de peur et de reconstruction très progressive ».
Le jeune Mickaël ne peut plus utiliser ses jambes mais n’a définitivement rien perdu de sa combativité et de son humour. Entouré de toute sa famille, c’est avec une imitation du « Parrain » qu’il accueille les siens à son réveil. « Je crois que quand on est con, on est con ! Faut imaginer la scène, je suis en soins intensifs, il y a ma famille qui est là. Mes parents, mes frères sont abattus et je me lance dans une imitation de Marlon Brando dans le Parrain, en convoquant un à un tout le monde à mon chevet ! » Il lève les bras et rejoue la scène un instant. « J’étais complètement défoncé à la morphine ! », rappelle-t-il tout de même. « Faut m’imaginer les bras écartés, des tubes par tout… ‘père, viens voir’ », marmonne le médaillé d’or dans un accent italien. « Il faut que tu retrouves cette bosse dans la station… À ce moment, il y a un fou rire familial et qui a été, on s’en est rendu compte plus tard, le point de départ d’une reconstruction familiale. Parce que quand vous avez un accident de la vie ça ne vous touche pas seulement vous, ça touche aussi vos proches et ceux qui vous aiment ».
« Depuis les Jeux d’Athènes, en 2004, plus jamais je n’ai été malheureux parce que j’étais handicapé »
La reconstruction reste longue et particulièrement éprouvante. « On ne se reconstruit pas tout seul », explique Mickaël Jeremiasz. « Et moi j’ai eu de la chance, j’étais extrêmement bien entouré de personnes qui étaient là pour m’accompagner, me réconforter quand ça n'allait pas et à l’inverse me booster quand ça allait mieux pour que j’aille vers l’avant. Mon grand frère notamment, qui a été extrêmement présent et qui m’a accompagné ».
Porté par sa famille et ses amis, le sportif a pu peu à peu repartir de l’avant. « Je suis d’un tempérament plutôt optimiste. Ce n'était pas passé loin, ça aurait pu être pire ! », se dit-il. « Ça a été très compliqué, c’était des mois et des mois de rééducation, presque un an et demi. Puis la reconstruction qui met du temps. Il m’a fallu trois, quatre ans pour vraiment accepter ce qui m’arrivait. Mais depuis les Jeux d’Athènes, en 2004, je peux dire que depuis cette période-là, plus jamais je n'ai été malheureux parce que j’étais handicapé. Il m’est arrivé d’avoir des problèmes », reconnaît-il, « des choses qui peuvent arriver à n’importe qui. Mais pas parce que j’ai le cul vissé à un fauteuil, ce n’est pas ça, aujourd’hui, qui me pose problème. Après ça peut m’arriver d’être en colère quand il y a des injustices ou d’autres problèmes, mais ça c’est un autre sujet ».
Une progression rapide au tennis fauteuil
« Au tennis, j’ai gagné du temps », explique l’athlète. « J’avais appris dès l’âge de cinq ans. Mais niveau déplacement, rien à voir ! Et la hauteur n’est pas la même. Je faisait 1m78, maintenant je suis dans un fauteuil, je suis passé à 1m37. Donc il faut quand même tout réapprendre. Mais ça m’a quand même permis d’avoir une progression assez rapide et d’obtenir mes premières médailles à Athènes ». Il y obtient en effet le bronze en simple et l’argent en double. Un travail acharné qui se concrétisera en 2008, au Jeux de Pékin. Mickaël y obtient alors sa toute première médaille d’or avec son coéquipier Stéphane Houdet.
Lors de sa première médaille d’or : « on était extrêmement fier et j’ai fait la fête pendant 32 jours de suite ! »
À ce moment-là, « on ressent une sorte de plénitude. J’avais déjà gagné des médailles, mais le fait d’avoir une médaille d’or aux Jeux Paralympiques, c’est une sensation particulière. C’est l’un des rares moments où on est exposé médiatiquement, c’est la validation ».
Mickaël Jéremiasz rentre alors dans l’Histoire. Avec Stéphane Houdet, ils rentrent au pays avec la toute première médaille d’or du tennis français, toute catégorie confondue, paralympique ou non. « On était extrêmement fier et j’ai fait la fête pendant 32 jours de suite ! Et le dernier soir, mes frères m’ont dit ‘gros, prends tes médailles, on sort !’ ». « Parce que c’était quand même un bon moyen pour aller en soirée et pour pécho », nous confie-t-il. « Vous arrivez avec un fauteuil roulant, une barbe un peu taillée et une médaille d’or, en général, vous ne rentrez pas tout seul ! ». De ce mois de festivités, Mickaël Jérémiasz retient l’une des périodes « les plus euphoriques » de sa vie. « On s’est éclaté, mais à la fin j’ai craqué j’ai dit ‘les gars, faut que j’arrête je vais crever !’. 32 jours c’est très très long ! Mais en fait, il y a toutes les soirées, les cérémonies où on vous met à l’honneur. Et bien sûr les soirées avec les potes et les frangins. C’est peut-être la période la plus euphorique que j’ai eu de toute ma carrière sportive ».
Porte-drapeau, la consécration
En 2016, aux Jeux de Rio, Mickaël Jeremiasz est sélectionné pour être porte-drapeau de l’Équipe de France. Il mène alors tout le cortège tricolore lors de la cérémonie d’ouverture. « Porte drapeau, ça veut dire que vous faites partie des plus grands champions de l’Équipe de France, tous sports confondus. Si on vous choisit vous, c’est que vous faites partie de ceux qui ont le plus beau palmarès. Il faut forcément avoir au moins une médaille d’or, mais c’est aussi une reconnaissance de votre engagement, de votre parcours, de votre capacité à fédérer, à emmener, des valeurs que vous incarnez, explique l’athlète. C’était une validation de la fin de ma carrière, on te dit ‘bravo pour tout ce que tu as fais, maintenant emmène-nous’ ».
« C’est bien beau de parler d’accessibilité pour aller au travail, pour prendre le métro, pour aller bouffer. Mais le sexe, c’est important aussi »
Mickaël a depuis pris sa retraite sportive mais n’a sans doute jamais été aussi actif. S’il organise des tournois de tennis fauteuil à échelle internationale, il est aussi consultant pour France Télévisions, producteur, chef d’entreprise et même président d’association. Cette association, appelée « Comme les autres », défend les handicapés et notamment leur droit à la sexualité. Un sujet encore très tabou, selon l’ancien sportif.
« On n'arrive pas à concevoir qu’une personne handicapée puisse avoir des désirs, envie de donner du plaisir, de prendre du plaisir », dénonce-t-il. « Et là je parle du handicap moteur ! Sur le handicap mental c’est encore pire. C’est très compliqué pour un certain nombre de personnes handicapées moteurs et un certain nombre de personnes handicapées mentales d’accéder à la sexualité ». Le médaillé d’or déplore le manque de reconnaissance et d’attention qu’attire cette situation. Un silence qui prouve un véritable malaise de la société vis-à-vis de cette problématique. « Pour moi c’est un vrai sujet », maintient Mickaël Jeremiasz. « C’est bien beau de parler d’accessibilité pour aller au travail, pour prendre le métro, pour aller bouffer. Mais le sexe, c’est important aussi. C’est quand même un des grands plaisirs de la vie ! Donc oui, les personnes handicapées ont une sexualité, parfois très débridée, et ils y ont droit comme tout le monde ».
Jeux de Paris : un enjeu de « prise de conscience »
Pour 2024, Mickaël Jeremiasz apparaît confiant. « On est prêt », estime-t-il. « Les infrastructures sont prêtes, la billetterie est lâchée et cartonne, la billetterie pour les Jeux Paralympiques ouvre en octobre et on a bon espoir qu’elle cartonne aussi, les droits TV sont vendus… Globalement, les Jeux vont bien se passer ».
S’il considère l’organisation parée pour l’évènement, c’est à « l’après » que le champion pense déjà. « L’enjeu pour nous », développe-t-il, « c’est que les Jeux Paralympiques soient réussi et qu’il y ait un héritage concret de l’organisation de ces Jeux. Qu'ils permettent une prise de conscience de ce que vivent les personnes handicapées au quotidien, que ça puisse nous permettre d’accélérer cette transformation nécessaire pour qu’on ait plus d'accès aux droits ».
Cette évolution, Mickaël Jeremiasz y croit mais reste prudent. « On mesurera après les Jeux », estime-t-il, « quelques années après, comme ça a été en Angleterre. En Angleterre, après les Jeux de 2012, un million d’emplois ont été pourvus pour des personnes handicapées ». Espérons que la France saura profiter de cette dynamique et emboiter le pas aux Britanniques.
« Je suis papa pour la deuxième fois depuis trois semaines »
Au-delà des compétitions, des consécrations et des grands enjeux nationaux, Mickaël Jeremiasz a trouvé le bonheur dans la sphère privée. Si ses frères et ses parents l’ont entouré et aidé à ses débuts, c’est sa femme et ses deux enfants qui l’accompagnent aujourd’hui. « Ce qui me rend heureux, surtout, c’est que je suis papa pour la deuxième fois depuis trois semaines ! J’ai deux petits bonhommes, une femme que j’aime, je vis avec ma famille dans un endroit super, on s’éclate », raconte-t-il. « Je suis très libre. La liberté c’est très important et je m’en sers pour des choses qui sont utiles. C’est une vie que je revendique, que j’apprécie et dont je suis fier ».
Son interview en vidéo
Photo : DR