Alain Bernard, sur son titre de champion olympique en 2008 : « ce sont des moments dont on a envie qu’ils durent une éternité »
Publié le 07.04.2022
PORTRAIT/VIDÉO - Alain Bernard est le premier nageur français de l'histoire a avoir été champion olympique sur le 100m nage libre. Pourtant, il était bien le seul à se croire capable d'atteindre de telles hauteurs. Comme le désormais retraité l'explique dans son autobographie "Mon destin olympique" il a toujours été habité et motivé par cette victoire ultime.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, quand il était plus jeune, Alain Bernard n’était « pas le plus rapide dans l’eau par rapport à [ses] collègues d’entrainement et [ses] adversaires, mais [il] pense qu'[il] était l’un des plus passionnés et c’est ça qui va jalonner la suite de [son] parcours ». Il accorde très rapidement à la natation : « le fait de se retrouver à l’entrainement, partir en compétition, c’est une vraie aventure » et c’est ça qu'il a aimé avant tout même s'il a « toujours eu la fibre du compétiteur et d’essayer de progresser chronométriquement, c’est avant tout la passion » qui l’animait. Et c’est grâce à cet amour du sport qu’il a pu devenir nageur professionnel, mais sans en faire exactement son métier, « ça n’existait pas à l’époque, ça n’existe toujours pas aujourd’hui. Nageur professionnel ce n’est pas un métier à part entière, c’est une activité très chronophage et professionnelle dans la démarche, mais le statut n’a malheureusement pas beaucoup évolué ». Son rêve faisait partie des choses qui l’ont pendant longtemps gardé animé, le rêve de « faire partie de l’équipe de France, de représenter [son] pays, mais c’était un objectif bien trop ambitieux » pour lui, et il avait du mal à se « projeter là dedans. Ça viendra plus tard au fil du temps ». Alain Bernard a fait du crawl sa spécialité, mais ça n’a pas toujours été le cas. « On s’entrainait beaucoup en crawl et puis on faisait par exemple un quart, un cinquième du volume d’entrainement dans notre nage préféré ». Dans le club dans lequel le futur champion évoluait, il avait « un copain qui était bon en brasse, l’autre en papillon et un en crawl et pour compléter une équipe, notamment sur du relais 4 nages », Alain Bernard s'est retrouvé à faire du dos et du 4 nages. Toutefois, Alain Bernard le confesse, il était « un peu moyen on va dire dans toutes les nages » c’est pour ça qu'il s'est « orienté un peu sur cette spécialité là dès l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte » explique-t-il. Le dos et le 4 nages étaient deux façon de pratiquer la natation qu’il affectionnait tout particulièrement, mais qu’il va un jour laisser à l’abandon, « c’est vrai que j’avais un gros niveau de quatre temps, mais comme je ne le plaçais pas forcément dans beaucoup de nages je suis resté là dedans jusqu’à ce que ce soit mon entraineur que j’ai rencontré à Marseille vers l’âge de 15 ans (Denis Auguin) qui me détectera plus tard des capacités en crawl, en nage libre et en sprint dans lequel je vais m’engager pleinement plus tard abandonnant le dos et le quatre nages ».
« Se prendre à rêver d’être bon sur 100m nage libre, voilà, c’est ça qui fait rêver »
La façon dont Denis Auguin, son entraineur, l’a convaincu qu’il pouvait devenir professionnel est assez particulière : « écoute, si on travaille ça, si on travaille le départ, le virage, la fréquence, etc…, je suis sûr que t’as une capacité de progression importante » explique la nageur en citant son coach. « Se prendre à rêver d’être bon sur 100m nage libre, voilà, c’est ça qui fait rêver. C’est l’une des courses reines de la natation ». Il remercie d’ailleurs tout particulièrement son entraineur d’avoir permis de prendre confiance en lui : « j’étais un jeune adolescent très timide, introverti et réservé et c’est vrai que le sport et la nation précisément, ça m’a aidé à m’ouvrir aux autres, à m’assumer et à exploiter un petit peu mon potentiel. C’est ça pour moi un entraîneur. Que ce soit un entraineur de haut niveau ou un éducateur qui apprend à nager, il faut cette fibre pédagogique avant tout pour faire passer les messages. […] Il faut trouver les mots et je sais que je dois énormément à Denis ». Commencent alors les heures d’entraînement et de musculation à répétition, un rythme d’enfer pas forcément facile à supporter pour un adolescent. Pas de quoi effrayer Alain Bernard, « dans la vie on est capable de s’engager dans un projet à partir du moment où on y croit. Donc quand on croit, qu'il faut mettre beaucoup de choses en place pour envisager une potentielle progression on est pris à s’investir à la hauteur qu’il le faut. Même si les résultats ne vont pas arriver tout de suite. Je suis entré dans une mécanique d’entrainement, de rigueur et d’exigence assez tôt et avec le temps ça a finit par payer. C’est l’objectif en fait qui va primer, qui va conditionner un petit peu notre comportement au quotidien, et c’est ça que j’essaie de partager et transmettre au quotidien aujourd’hui ». Le champion olympique ne regrette pas et a profité des plaisirs de la vie plus tard : « j’ai fait ma crise d’adolescence un peu plus tard à 30 ans, donc j’avais un peu plus de moyens et c’était peut-être un peu mieux. Ce sont des choses que j’ai mises entre parenthèses, c’est sûr que ce n’est pas forcément compatible de faire du sport de haut niveau et de faire la fête mais j’ai eu la chance d’être champion olympique derrière. Ça fait partie des concessions que j’ai du avoir à faire pour espérer avoir ce résultat . Je n’ai aucun regret là dessus. Maintenant il ne faut pas se tromper, on ne peut pas avoir une vie de fêtard, ne pas prendre soin de son corps et avoir une mauvaise hygiène de vie, et ambitionner d’être l’un des meilleurs nageurs du monde. C’est une question de parti pris, qu’est ce que je suis prêt à mettre en place pour atteindre mon objectif ? Ça, ça faisait partie des choses à mettre entre parenthèses. En effet les collègues qui sortaient des cours, qui allaient au cinéma, qui se retrouvaient le soir et qui faisaient la fête; moi j’allais me coucher sagement même si bien sûr j’ai bien profité de faire la fête en temps voulu ». En plus de la natation, le recordman du monde suivait toujours ses cours, il a donc fallu aménager son emploi du temps : « quand j’ai rejoint le cercle des nageurs de Marseille j’avais quinze ans, j’avais déjà redoublé une classe une fois, j’ai redoublé la classe quand je suis arrivé en seconde donc j’ai passé mon bac avec deux ans de retard. Malgré le fait d’avoir des « horaires aménagés », c’était des journées qui étaient très denses. Le réveil à 5h30, je devais être à 6h30 dans l’eau jusqu’à 8h30. 9h-17h la plage de cours et 17h-19h le deuxième entrainement avant de rentrer à la maison. Cétait un horaire pseudo aménagé. Jusqu’au baccalauréat c’était à peu près gérable, c’est après que c’est compliqué c’est pour ça que j’ai fait le choix de m’engager pleinement dans la natation parce que je ne trouvais pas forcément une voie universitaire ou de formation post-bac qui m’intéressait plus que ça ».
Sa non-qualification aux JO d’Athènes : « ça a été un gros échec dans ma carrière qui a conditionné aussi la suite »
Alain Bernard se lance alors pleinement dans son objectif de se qualifier pour les Jeux olympiques d’Athènes en 2004. Un élan qui va être brisé quand il contracte la mononucléose, une maladie qui lui coûtera sa qualification pour les JO. Un vrai coup dur qui l’a forgé : « ça a été un gros échec dans ma carrière qui a conditionné aussi la suite. Je pense que si je m’étais qualifié à quelques petits centièmes aux jeux olympiques d’Athènes, est-ce que j’aurais trouvé la force, l’abnégation derrière pour m’engager sur un projet pour 4 ans plus tard les JO de Pékin 2008 ? On ne le saura jamais. Ça a été un coup dur, je ne vous cache pas que ça a été une des plus grandes désillusions de ma carrière. Mais encore une fois Denis mon entraineur, mon entourage, ma famille, mes proches ont su trouver les mots pour que je redouble d’efforts, pour que je continue dans cette voie puisque j’étais persuadé que je pouvais faire mieux. Malgré la mononucléose et la toxoplasmose, j’ai échoué ma qualification olympique à 17 centièmes de secondes. À ce moment-là entre ce que je fais à l’entrainement et ce que je fais en compétition, ce n’est pas vraiment en corrélation et tôt ou tard j’arriverai à progresser. » Alain Bernard met ses études entre parenthèses et passe alors son diplôme d'entraîneur de haut niveau. Tous ses efforts paient enfin lorsqu’à la fin de l’année 2004 il gagne son premier championnat d’Europe avec le relais français sur 4x50m nage libre. Un souvenir qui le marque encore aujourd’hui : « je pense que c’est la première fois de ma carrière que je vais me retrouver sur le plus haut podium international à écouter la Marseillaise, à être à côté de mes collègues et à faire partie un petit peu de cette élite de la natation française. Une fois qu’on a goûté à ça, on a juste envie que ça se reproduise maintes et maintes fois. Acquérir cette expérience internationale c’est quelque chose qui sera très précieux pour moi dans la suite de mon parcours ». Deux ans plus tard, il remporte sa première médaille en individuel en décrochant le bronze sur 100m nage libre, encore une fois aux championnats d’Europe. Alors, c’est mieux d’être champion en équipe ou troisième tout seul ? Alain Bernard explique que « ce sont deux sentiments vraiment différents mais avec autant de fierté ».
Sur sa victoire olympique en 2008 : « la sensation de fierté d’avoir remporté la course. Je suis abasourdi et j’explose de joie »
Fin 2006, le champion du monde quitte le cercle des nageurs de Marseille pour celui d’Antibes. Un changement qui lui a donné « un second souffle » qu’il explique par le fait de s’être « retrouvé dans un environnement beaucoup plus serein ». L’année suivante, Alain Bernard réalise les meilleurs chronos mondiaux sur 100m nage libre, mais ne confirme pas aux championnats du monde, échouant en demi-finale. Pas un problème de pression selon le principal intéressé, qui résume simplement : « j’ai moins de pression sur une compétition internationale qu’aux championnats de France ». Des mondiaux ratés qui ne le font pas douter et qui poussent le nageur à continuer de s’entraîner sans relâche, « il y a plein de moments qui sont propices à baisser les bras. Mais si on les baisse une fois, on les baissera la fois d’après et on ne pourra pas avancer ». Sa progression se poursuit. En 2008, il devient recordman du monde du 100m nage libre aux championnats d’Europe d’Eindoven. « Une étape » pour lui car « le rêve c’est quand même la finale olympique ». Alain Bernard arrive donc aux Jeux olympiques de Pékin en 2008 en pleine confiance, « tous les marqueurs étaient au vert ». Même si avant la grande compétition, rien n'a été simple. « Les derniers mois qui ont précédé les JO {…} on passe par des montagnes russes émotionnelles » raconte t’il. Alain Bernard atteint la finale du 100m nage libre et a enfin une chance de décrocher le titre suprême. Sauf que quand il faut se lancer, il a les jambes qui tremblent à cause « d’une accumulation de pression et de stress au moment du départ ». « Je m’étais dit que c’était débile, stupide et complètement con de tomber dans l’eau et de faire un faux-départ » se remémore en souriant l’Aubagnais d’origine. Moins d’une minute plus tard, Alain Bernard l’a fait, il est le premier français champion olympique sur 100m nage libre. Il se souvient très bien de « la sensation de fierté d’avoir remporté la course. Je suis abasourdi et j’explose de joie ». Le nageur entre dans l’histoire de son sport, monte sur la plus haute marche du podium, « ce sont des moments dont on a envie qu’ils durent une éternité » explique t’il avec beaucoup d’émotion.
Son autobiographie : « c’était une façon pour moi de remercier ceux que j’ai pu croiser sur mon chemin »
Avec ce titre, Alain Bernard devient une star du sport français, est extrêmement sollicité, et avec la notoriété « il faut apprendre à gérer beaucoup de choses extra-sportives ». En plus de tout cet engouement autour de lui, le champion olympique continue de s’entraîner à haute intensité, un rythme dur à gérer. « Je suis à deux doigts du burn-out, de l’explosion » explique t’il. Encore aujourd’hui, même en étant une référence de son sport depuis plus de dix ans, Alain Bernard l’avoue : « je ne m’habituerai jamais à la notoriété ». L’ancien recordman du monde prend sa retraite en 2012, juste après les JO de Londres. Il n’a pas connu la « petite mort du sportif » car il a « été très vite occupé et sollicité ». Un choix mûrement réfléchi, décidé « deux ans avant d’arrêter ma carrière ».
Alain Bernard a décidé de revenir sur sa carrière en sortant son autobiographie « Mon destin olympique » l’année dernière. Il avoue que « cette écriture, c’était une forme de thérapie un peu nostalgique ». Le retraité a pu, en écrivant, se remémorer tous les moments importants de sa carrière, et souhaite « à chacun de vivre les émotions que j’ai pu vivre ». Il va plus loin : « j'ai eu l’impression d’avoir vécu plusieurs vies avant mes trente ans ». Avec son livre, Alain Bernard veut rappeler que « dans la vie on n'a rien sans rien, il faut beaucoup de travail », et espère inspirer les gens, pas uniquement des sportifs. « Si ça peut donner des petites billes de réflexions à des entrepreneurs, des sportifs, des athlètes... ». Il conclut que cet ouvrage, « c’était une façon pour moi de remercier ceux que j’ai pu croiser sur mon chemin et qui m’ont permis de devenir cette personne que je rêvais de devenir quand j’étais gamin ».