Nicolas Chagny : « dans tous les pays où l’application « StopCovid » a été testée, on n’a jamais entendu que c’était super »

Rédigé par Mathilde COUVILLERS-FLORNOY
Publié le 17.04.2020
INTERVIEW - Nicolas Chagny était notre invité mercredi 16 avril. Président de l’Internet Society France depuis 2015, il met en garde les Français contre le projet d’application numérique du gouvernement : « StopCovid ».
Lors de son allocution lundi 13 avril, le président Emmanuel Macron a annoncé que le gouvernement travaillait à mettre en place une application mobile nommée « StopCovid ». Celle-ci recueillera les données de santé des Français, sur la base du volontariat, et les géolocalisera afin de limiter la propagation de la maladie. L’application sera donc en mesure de nous alerter si nous avons croisé une personne atteinte dans la rue. Mais l’idée de cette application fait débat. Nicolas Chagny, à la tête de l'Internet Society France, une ONG représentant les utilisateurs du web, appelle à la vigilance. Il émet plusieurs inquiétudes : « Notre crainte, c’est le côté magique de l’application (…) il ne faudra pas se dire que l’application va tout résoudre car c’est un peu plus compliqué que ça. (…) On parle de traçage de personnes dans un environnement de crise sanitaire avec des données de santé donc il faut faire attention ». La plus grande peur de Nicolas Chagny réside dans l’atteinte à la liberté individuelle de chacun. « Imaginez que vous soyez libre de télécharger l’application, mais que vous pouvez sortir uniquement si vous l’avez téléchargée. Dans ce cas là, on pourrait dire qu’on atteint à vos libertés (…) Ce qui va conditionner l’accord de personnes comme nous sur cette application, c’est le curseur qu’on va mettre sur les libertés ».
Justement, Nicolas Chagny a étudié tous les biais de l’application concernant la liberté individuelle. Pour se faire, il a consulté le Conseil National du Numérique, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), la Commission des Droits de l’Homme et le Défenseur des droits en tant que garants de l’application. « On voudrait que ces organismes ne soient pas juste consultés au moment de l’idée, mais qu’ils le soient jusqu’au bout, parce que c’est là qu’on va se rendre compte des choses qui, peut-être, ne vont pas fonctionner. Il faut que toutes ces organisations, qui sont garantes de nos libertés, soient présentes au moment où on va mettre en oeuvre cette application. C’est très important pour nous ». Internet Society France souhaite également que l’application soit en « codes ouverts » pour que des professionnels puissent « décortiquer l’application » et en trouver les failles.
Après la liberté individuelle, le faux sentiment de sécurité
Tous les Français ne pourront pas se munir de l’application « StopCovid ». Les enfants et les personnes âgées n’ayant pas de smartphone seront, par exemple, laissés de côté. Pourtant ces personnes-là risquent aussi d’être touchées par le covid-19. Nicolas Chagny redoute également une sous-estimation de la maladie : « On a une petite inquiétude sur ce type d’application, c’est un sentiment : une fois que vous avez l’application, vous allez vous sentir protégé (…) Tout le problème, c’est la minimisation de la maladie : vous avez croisé des gens potentiellement malades et l’application ne vous l’a pas dit ». Le président de l'Internet Society France rappelle d’ailleurs que « dans tous les pays où l’application « StopCovid » a été testée, on n’a jamais entendu que c’était super donc il faut rester vigilant par rapport à cela ».
Et l’utilisation des données personnelles dans tout ça ?
Selon Nicolas Chagny, il faut que l’utilisation de « StopCovid » se fasse à court terme puisqu’il s’agit de données personnelles de santé : « Si avec ces données, on sait que untel est touché par la maladie et qu’après tous ses voisins le savent aussi, ça devient complexe ». La question de l’utilisation des données rejoint celle des libertés individuelles et la CNIL sera vigilante sur le consentement des utilisateurs de l’application. « StopCovid » est encore en pleine expérimentation et des personnes comme Nicolas Chagny en étudient tous les biais. Un débat parlementaire doit avoir lieu sur la question. Pour le moment, 46% des Français installeraient l’application sur leur téléphone, selon un sondage IFOP pour la Fondation Jean Jaurès, contre 45% qui ne le feraient pas.
Photo : Welcome To the Jungle