Paul Sébille (IFOP) : « on aimerait bien que les sondages soient plus utilisés pour comprendre »
Publié le 10.11.2021
INTERVIEW / VIDEO - En pleine période de campagne présidentielle, les sondages, régulièrement diffusés dans la presse, font débat. Eric Zemmour, pas encore candidat, est déjà deuxième des intentions de vote, le journal Ouest-France décide de ne plus les publier… Pour comprendre le rôle et l’usage des sondages, nous avons interrogé Paul Sébille, chargé d’études senior au sein de l’institut de sondage IFOP, vendredi 5 novembre.
MRG : Tout d’abord, est-ce qu’un sondage est une prédiction ?
Paul Sébille : Non, pas du tout. On le répète assez souvent, le sondage n’est pas une prédiction. Nous, ce que l’on fait, c’est simplement tester l’opinion à l’instant T. C’est comme ça qu’on le dit parce que les gens sont actuellement au moment de la campagne, où on en est en novembre, et ils ne sont pas du tout encore le jour du vote. Donc c’est normal qu’on ne prédise rien du tout, vu que les gens eux-mêmes ne se projettent pas encore le jour du vote.
Alors concrètement, à quoi sert un sondage ?
Nous, on aimerait bien que les sondages soient plus utilisés pour comprendre. Par exemple, sur une intention de vote, qui sont les électeurs de tel ou tel candidat ? Parce qu’on a cette information. On sait pour qui les femmes votent plus, pour qui les jeunes votent plus. Et ça, c’est une information qui est très importante.
Et les sondages ne sont pas que des intentions de vote. On fait plein de sondages sur plein de sujets de société qui permettent de comprendre comment les Français réagissent à tel ou tel événement ou comment ils se comportent dans telle ou telle situation. C’est une source d’information très riche qu’il faudrait mettre plus en avant.
Dans le cas d’un sondage sur l’élection présidentielle, est-ce que tous les candidats qui figurent dans les intentions de vote sont proposés comme réponse ou est-ce qu’ils sont là parce que les personnes ayant répondu aux questions ont mentionné leur nom ?
Ça n’arrive jamais qu’on laisse les gens déclarer eux-mêmes leur intention de vote. On leur donne une liste qu’ils lisent sur un écran, parce que tout se fait par ordinateur maintenant, par internet. Donc ils lisent la liste et c’est eux-même qui choisissent leur candidat. Évidemment, c’est une liste qu’on leur propose.
Donc dans le cas d’Éric Zemmour, pourquoi le proposer dans vos sondages alors qu'il n'est pas encore candidat ?
Ce qu’on fait généralement, en tout cas à ce stade, c’est qu’on teste deux hypothèses. C’est-à-dire qu’on va tester, on va présenter aux personnes deux listes : une liste sans Zemmour et une liste avec Zemmour. Comme ça, on peut avoir les deux situations. En tout cas, les répondants sont placés dans ces deux situations.
Maintenant, il y a le débat de savoir « est-ce qu’on doit tester Zemmour alors qu’il n’est pas candidat ? ». C’est une question évidemment qu’on se pose mais on a un petit peu choisi à notre place. Eric Zemmour existe dans les médias depuis maintenant au moins août-septembre et pourtant il n’a pas été testé dans nos sondages aussi tôt. Ça a été un petit peu imposé par les médias finalement. On s’est dit « c’est important de le tester parce que c’est devenu un phénomène ». Lui-même a créé ce phénomène.
Justement, est-ce que les médias, avec les sondages, en font trop, selon vous ?
Alors, c’est un petit peu la question : est-ce qu’on fait trop de sondages ? Je pense qu’évidemment, il y en a peut-être un peu trop. En tout cas, c’est l’impression que ça donne aux gens. Je pense qu’on en entend parler tout le temps. Dès que ça bouge d’un ou deux points, c’est cité dans les médias. Peut-être que ce n’est pas aussi grave qu’on ne le dit parce qu’évidemment, les gens ne se positionnent pas qu’avec des sondages. On sait que ce sont aussi des débats, des informations de leur proches. C’est aussi comme ça qu’on se forge une opinion. Donc je pense que ce n’est pas très grave qu’il y ait autant de sondages. C’est aussi une source d’information importante mais il faut rester prudent, ça c’est évident.
Quel regard portez-vous sur le fait que le journal Ouest-France, qui est quand même le plus gros journal de presse quotidienne régionale en France, a décidé de ne plus publier de sondages sur l’élection présidentielle, jusqu’à l’élection ?
Il y a certainement des débats entre les sondeurs sur ce sujet. On pense quand même que c’est très dommageable pour les lecteurs de Ouest-France, parce que le sondage est quand même une information, parmi d’autres, qui est là, qui existe. Ouest-France ne va pas la publier mais cette information va exister ailleurs. Et même si on interdisait les sondages, les partis politiques, les acteurs politiques et certains journalistes auraient quand même accès à ces données mais pas le public, pas les Français en général. Et ça, c’est dommage parce que si jamais vous voyez qu’un candidat est haut dans les sondages, vous aimeriez peut-être le savoir, pour vous mobiliser. Pour comprendre aussi pourquoi Eric Zemmour est si haut, on ne pourrait pas le comprendre si on ne le mesurait pas.
MRG : Donc si on comprend bien, ça pourrait en quelque sorte influencer la campagne ?
Paul Sébille : Ce débat sur l’influence des sondages, il est difficile à mener parce que personne, ni même la recherche sociale par exemple, n’a tranché ce débat. Parce que si vous voyez Eric Zemmour très haut et si vous êtes favorable à ses idées, vous allez peut-être être amené à vous dire « je vais voter pour lui, vu qu’il a l’air bien placé ». Et à l’inverse, si vous êtes contre, vous allez peut-être vous mobiliser pour voter contre lui. Donc ça peut avoir finalement un effet neutre. En revanche, c’est quand même une information, je vous le disais, sur la nature de ce phénomène. Pour comprendre la société. Et ça, Ouest-France va se couper de cette information pour ne garder que des témoignages qui sont aussi biaisés que n’importe quelle information, voire plus.
Donc vous nous dites que les sondages sont un outil qui est utile, qui nous donne des informations précieuses. Est-ce que vous diriez quand même que c’est un outil qui n’est pas forcément bien utilisé, parfois détourné de son usage premier ?
C’est sûr que quand on voit que sont commentés les plus deux points d’untel vis-à-vis d’untel, ça parait un petit peu superficiel et un petit peu surfait. Il y a peut-être une mauvaise utilisation. Maintenant, ces évolutions-là sont aussi intéressantes. Ça permet de rythmer un article, une campagne mais certainement qu’ils devraient être un peu mieux utilisés. Plus en profondeur.
MRG : Est-ce que vous pensez qu’on devrait parfois encadrer, réguler l’usage des sondages ?
Paul Sébille : Il existe déjà des lois. Elles ne sont pas très strictes, c’est-à-dire qu’on doit quand même publier le détail de notre sondage : comment il a été fait auprès de la commission des sondages. C’est une institution qui surveille tout cela. Donc il y a certaines règles. En revanche, nous, en tant que sondeurs, il y a une espèce d’auto-contrôle. C’est-à-dire que vous imaginez bien que si jamais on faisait n’importe quoi avec nos sondages, ça se verrait. D’ailleurs, il y a eu parfois des erreurs, en tout cas des mauvaises… on parlait tout à l’heure de prédiction, ça n’en est pas mais quand on fait un sondage deux jours avant le vote et que ce sondage n’est pas très juste, il y a un problème. Donc il y a quand même un auto-contrôle. Il n’y a pas forcément besoin de plus de contrôles puisque, nous-mêmes, nous avons une réputation quand même à tenir. Il y a une concurrence forte en plus entre les sondeurs. Il y a une sorte d’auto contrôle qui existe et qui moi me parait suffisant. En tout cas de ce que l’on voit de l’intérieur.
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Photo : DR