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Sandrine Rousseau : « je vous donne rendez-vous dans 5 ans »


Rédigé par Bastien COCHET

Publié le 23.03.2022


INTERVIEW / VIDEO - A la veille de son éviction de la campagne de Yannick Jadot, Sandrine Rousseau était l’invitée d’MRG TV au Salon International de l’Agriculture. La star de la primaire écologiste s’est adonnée à un exercice complexe : rappeler les engagements de son candidat sur l’Ukraine, l’agriculture et la campagne présidentielle, tout en gardant la réserve que les dernières heures où elle était encore liée à son ancien adversaire lui imposait.

A posteriori, les paroles de l’écologiste résonnent différemment, sur la plupart des sujets, son ancien poulain semblant trop mou par rapport à sa vision. L’Ukraine est peut-être celui où leurs points de vue se rejoignent le plus. Pour Sandrine Rousseau, la suspension de nombre de banques russes et institutions du système SWIFT est la bonne solution, « les mesures qui font le plus mal à la Russie sont aujourd’hui des mesures économiques. […] Cela va permettre de toucher au cœur du réacteur du système russe en espérant créer une désolidarisation envers Poutine ». Selon l’économiste de formation, ce levier est efficace car « la Russie n’est pas un pays extrêmement riche. Toucher à la question économique en Russie permet de toucher très vite la population et de susciter une forme de révolte citoyenne ». Mais face aux sanctions, la Russie n’a pas vraiment eu l’air de craindre un enfermement international, probablement parce qu’elle s’était préparée à une telle réaction depuis des années et était prête à s’autosuffire. Mais selon Sandrine Rousseau, « le pays n’est pas en mesure de s’autosuffire. Il est en capacité de travailler avec d’autres pays tels que la Chine, qui sont des demi-alliés. [...] La Russie est extrêmement dépendante des exportations de produits agricoles mais aussi d’énergies. Et si on coupe ces biens là et les avoirs financiers, alors la Russie s’effondre. D’ailleurs le rouble s’effondre. »

« La paix doit rester la priorité, la désescalade doit rester la priorité »

Qu’en est-il alors d’une intervention militaire pour aider le peuple ukrainien sur le terrain ? Pour l’ancienne alliée de Yannick Jadot, « ce n’est pas le sujet », arguant que « les sanctions économiques sont toujours préférables à une entrée en guerre » et que « la paix doit rester la priorité, la désescalade doit rester la priorité ». Pourtant, la perdante de la primaire écologiste reste lucide sur le rapport de force déséquilibré entre les deux belligérants et la nécessité de venir en aide au peuple ukrainien. « Aujourd’hui, l’armée ukrainienne est très faible, elle est petite […] par rapport à la Russie. Vous pouvez surarmer une petite équipe, ça ne permettra jamais de faire face à un front uni de la Russie et de la Biélorussie. ». De plus, plane encore sur ce conflit l’ombre d’un affrontement nucléaire entre grandes puissances, notamment à la suite de la prise des sites de Tchernobyl et de Zaporijia qui abrite la plus grande centrale nucléaire d’Europe. Sur ce point, Sandrine Rousseau reste prudente, « on ne peut pas être sûr qu’il ne l’utilisera pas » et clame que la meilleure manière de protéger l’Ukraine est d’engager une procédure accélérée d’adhésion à l’Union européenne.

« La question, c’est est-ce qu’on préfère nos SUV à nos enfants ? Moi, je préfère mes enfants »

Même si l’Ukraine occupe une très large partie de l’espace médiatique, le premier tour de l’élection présidentielle a tout de même lieu dans moins d’un mois et la candidature écologiste n’est pas en grande forme dans les sondages. La faute à l’absence des thèmes écologiques dans la campagne, selon Sandrine Rousseau. « La situation sur le plan écologique est tellement inquiétante et tellement angoissante, appelle tellement de changements qu’il y a une forme de déni à ne pas vouloir changer et à s’occuper de sujets qui nous permettent de nous distraire des vrais sujets et en l’occurrence de notre capacité à exercer ce virage écologique dont on ne pourra pas se passer » déclare-t-elle. Plus largement, c’est la façon dont la politique se ferait en France qui ne conviendrait pas à l’écologiste : « cette Ve république qui personnifie complétement les enjeux, qui fait en sorte qu’on a l’impression que le président de la République dirige tout puisqu’il a le gouvernement et l’Assemblée nationale à sa main ». Selon elle, logiquement, « si ce président-là n’est pas écologiste alors on a un problème collectif ». Un problème collectif car, pour Sandrine Rousseau, nous sommes aujourd’hui face à un choix crucial. « La question, c’est est-ce qu’on préfère nos SUV à nos enfants ? Moi, je préfère mes enfants » affirme-t-elle.

Sandrine Rousseau rappelle également qu’elle milite pour un changement drastique du système politique français : « je suis pour une république parlementaire. Je pense que c’est au Parlement que doit se faire l’essentiel des lois. […] Aujourd’hui, c’est une chambre d’enregistrement de ce que propose le gouvernement. Il faut complétement inverser le rapport de pouvoir et faire en sorte que le président ne soit pas un monarque à l’Elysée mais qu’il soit, au contraire, un représentant de la démocratie. Ce qui n’est plus vraiment le cas. »

« Enfermer des déchets pour 100 000 ans, c’est coupable »

Comme souvent au moment de la présidentielle, la question de l’utilisation de l’énergie nucléaire se pose, avec comme premier opposant le mouvement écologiste. Pour Sandrine Rousseau, « enfermer des déchets pour 100 000 ans, c’est coupable. Ce que l’on laisse aux générations futures est scandaleux […] La seule solution est d’aller vers la sobriété et d’aller vers les énergies renouvelables ». Aujourd’hui, l’Homme ne sait effectivement pas recycler les déchets nucléaires et doit enterrer ces déchets dans des sarcophages sous terre. En France, c’est sur le site de Bure, dans la Meuse, que cela se passe, dans l’espoir de pouvoir s’en occuper dans des milliers d’années, le temps qu’ils ne soient plus dangereux. Une aberration pour Sandrine Rousseau qui fustige le fait qu’on ne sache pas « aujourd’hui démanteler une centrale nucléaire. On est en train d’enfermer des déchets nucléaires pour 100 000 ans, […] et on ne souvient pas de la manière dont nos ancêtres ont fait la grotte de Lascaux alors que c’était il y a 20 000 ans ». On pourrait opposer le fait qu’à l’époque de la grotte de Lascaux, l’Homme n’avait pas encore développé de langage et qu’aujourd’hui les méthodes de communications n’ont jamais été aussi perfectionnées. La présence du nucléaire dans le mix énergétique français permet aussi une relative indépendance. Mais Sandrine Rousseau considère que la souveraineté énergétique ne serait pas un problème si la filière s’arrêtait. « Bien sûr qu’on y arriverait, à condition de mettre les moyens et la volonté politique. Aujourd’hui, il n’y a aucun des deux » selon elle. Et pour ceux qui espéreraient une évolution technologique pour régler ce problème, l’écologiste prévient, « je vous fais un scoop ici sur ce plateau : il n’y a pas d’innovation technique ou technologique qui nous permette réellement de nous sauver de la crise climatique. Ce sont nos comportements qui sont à l’origine de cette crise, il nous faut les changer ».

« Il n'y aucun destin personnel qui compte »

Alors qu’elle était toujours aux côtés de son ancien adversaire de la primaire Yannick Jadot, Sandrine Rousseau a dû, sur notre plateau, se montrer supportrice de sa candidature. Nombre de tensions sont pourtant apparues au cours de la campagne entre les deux figures d’EELV. Il y a plusieurs semaines par exemple, le candidat écologiste a mené en secret des tractations avec Christiane Taubira avant qu’elle jette l’éponge pour s’allier. Tellement en secret que Sandrine Rousseau, alors présidente du conseil politique de la campagne, n’avait même pas été mise au courant. Sur cet épisode, elle commente « il n’y a que le collectif qui compte, il n’y a aucun destin personnel qui compte. Ce collectif-là est très précieux, il s’abîme dès qu’on le néglige et qu’on le méprise et en l’occurrence c’est ce qui s’était passé ». Un collectif qui n’aura pas tenu beaucoup plus longtemps donc et des doutes déjà sur la force de son engagement puisqu’à la question de savoir si elle porterait des propositions plus radicales que Yannick Jadot, elle répond « c’est Yannick Jadot qui porte la parole des écologistes et je vous donne rendez-vous dans 5 ans ». Le tout accompagné d’un petit rictus.

« C’est un droit de manger correctement »

Lorsqu’on se rend au Salon de l’Agriculture, le thème de l’alimentation et des éleveurs est évidemment incontournable. Et à l’heure où la guerre en Ukraine impacte le prix des denrées alimentaires, Sandrine Rousseau souhaite que celles-ci soient sanctuarisées. « L’alimentation fait partie des biens absolument essentiels. […] Diminuer la TVA et la supprimer sur ces produits-là révèle que c’est essentiel ». La TVA sur ces produits est actuellement de 5,5% et pour ceux qui trouveraient la mesure accessoire, l’économiste rétorque que dans la phase d’inflation que devrait connaître notre pays dans les prochains mois, « ce ne sera pas jugé accessoire par la population, […] ce n’est pas du tout négligeable ».

Face à la question d’une alimentation de qualité trop coûteuse, Sandrine Rousseau retourne, en revanche, le problème en affirmant que la vraie question est que le revenu de la population est trop faible. Pour celle qui considère que « c’est un droit de manger correctement », la solution pour les classes les plus défavorisées est naturelle : avec un revenu de 920€ par mois minimum, cela réglerait nombre de problèmes.

« Il nous faut accepter un choc de productivité négatif sur l’agriculture »

Plus largement, c’est un changement total de paradigme que propose Sandrine Rousseau. Tout d’abord sur la question de la productivité des exploitations, obligées d’utiliser des produits phytosanitaires pour suivre les rendements exigés. « Il nous faut accepter un choc de productivité négatif sur l’agriculture », une position dure à entendre pour de nombreux agriculteurs et citoyens ayant peur de l’idée même d’une décroissance. Pourtant l’écologiste l’assure, ce n’est pas synonyme de baisse des conditions de vie des agriculteurs même si elle prône une démécanisation des exploitations et un retour à des méthodes plus traditionnelles. Une radicalité qui s’applique également à sa position sur la consommation de viande, encore très importante en France. Selon elle, « il faut diminuer considérablement notre consommation de viande. C’est l’un des gestes les plus efficaces pour la lutte contre le dérèglement climatique ». Un point sur lequel tout le monde pourrait se mettre d’accord est l’absurdité de certains produits de la filière bio qui viennent de l’autre bout de la planète et sont emballés dans du plastique pour qu’on les distingue des produits conventionnels.

A savoir si Sandrine Rousseau continuera de porter ses engagements au sein d’Europe Ecologie Les Verts ou à la tête d’un nouveau parti dont elle prendrait la tête. Réponse certainement après l’élection présidentielle pour celle qui continue tout de même à soutenir la candidature écologiste.

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Photo : MRG Médias


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