François Durpaire : « huit des vingt fusillades les plus meurtrières de l’Histoire des États-Unis ont eu lieu depuis 2014 »

Rédigé par Quentin LEPORT
Publié le 26.05.2022
INTERVIEW/VIDÉO - François Durpaire, historien et universitaire était l’invité de MRG vendredi 20 mai dans l’Open Zone. Spécialiste de la question du bonheur et surtout des États-Unis, il est revenu sur les tueries de masse qui se multiplient ces dernières semaines au pays de l'oncle Sam.
« Historien du bonheur » est la manière dont se définit François Durpaire. A l’origine de cette qualification vient la rédaction d’un ouvrage écrit avec soixante autres historiens intitulé « Histoire mondiale du bonheur ». Le spécialiste des États-Unis et ses homologues se sont intéressés à l’histoire de la notion de bonheur depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours et même jusqu’à l’an 2100 explique-t’il. La dernière partie de cette œuvre consiste en des anticipations sur ce que pourront peut-être dire les philosophes du bonheur dans une centaine d’années. Cet ouvrage de François Durpaire a été publié il y a deux ans et lui a valu d’obtenir le Prix Essai de France Télévisions en 2020.
« A partir du moment où il y a eu la révolution néolithique et l’agriculture, on a été astreints à des heures de travail beaucoup plus longues »
L’une des questions que se pose l’historien dans le cadre de ses travaux est la suivante : « sommes-nous plus heureux aujourd’hui qu’à l’époque de l’Antiquité et du Moyen-Age ? ». « La question est à poser à la fois individuellement et collectivement » explique François Durpaire. Avant d’ajouter : « il est difficile de pouvoir évaluer cela parce que nous n’avons pas les mêmes enquêtes d’opinion aujourd’hui qu’au Moyen-Age ou à l’ère de la Préhistoire ». L’historien confie que le paléontologue qui a commencé l’ouvrage pour lequel il a été primé, dit que l’homme et la femme qui vivaient il y a des millions d’années étaient « peut-être moins astreints que nous à un certain nombre de contraintes comme le travail ». Il donne l’exemple du chasseur-cueilleur qui ne passait que trois ou quatre heures de sa journée à assurer sa subsistance et que tout le reste de son temps constituait du loisir. « A partir du moment où il y a la révolution néolithique et l’agriculture, on a été astreints à des heures de travail beaucoup plus longues » ajoute François Durpaire. « Il s’agit d’un exemple parmi d’autres mais en tout cas c’est un sujet qui a peu été abordé par l’Histoire ». Le spécialiste de BFM TV raconte que « les historiens se sont d’abord intéressés aux grandes batailles, aux grands évènements puis aux structures matérielles de notre société, à la manière dont on vit, dont on mange à travers les âges, la manière dont on s’habille » puis ajoute « mais cette question de nos sentiments, de ce que l’on ressent, elle est beaucoup plus dure à appréhender donc c’est un peu une thématique novatrice, qu’on a voulu ouvrir et peut être que les historiens futurs voudront se pencher sur ces questions là ».
« On utilise moins souvent le théorème de Pythagore dans la vie courante que de devoir surmonter un échec ou devoir être respectueux avec les gens »
François Durpaire confie qu’il étudie au sein du laboratoire BONHEURS (Bien-être, organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs) les questions qu’il se pose dans l’ouvrage qu’il a co-écrit. Le laboratoire BONHEURS est un centre de recherche de l’université de Cergy-Pontoise qui travaille sur les questions qui sont liées au bien-être, au bonheur et plus spécifiquement aux questions qui sont liées à l’éducation. Ce lieu a vocation selon l’historien à se demander « comment est-ce qu’il est possible d’éduquer au bonheur ? » et à savoir si à l’école, il ne serait pas bien « de prendre au-delà du Français, des mathématiques et des choses évidemment essentielles, également d’apprendre à vivre tout simplement et à être heureux dans la vie. À savoir s’orienter, se guider, surmonter les échecs, aimer enfin plein de choses qu’on n'apprend pas à l’école et qui pourtant font le sel de la vie et peut être les choses les plus fondamentales de notre vie ». Pour François Durpaire, « on utilise moins souvent le théorème de Pythagore dans la vie courante que de devoir surmonter un échec ou devoir être respectueux avec les gens par exemple, et ça on l’apprend un peu moins à l’école ». Le professeur ne manque pas d’ajouter « on appelle ça avec un mot un peu savant ‘les compétences psycho-sociales’ ». Il est à l’origine avec ses collègues du laboratoire BONHEUR, d’une « semaine du bonheur à l’école », et qui a lieu chaque année. Ils ont aussi créé un label pour les écoles, les collèges et les lycées qui « mettent la question du bonheur, du bien-être dans leur projet d’établissement, ça s’appelle les ‘écoles du bonheur' ».
« Il existe deux problèmes aux Etats-Unis qui conduisent aux attaques comme celle de Buffalo : celui des armes à feu et celui du racisme »
Consultant et spécialiste des Etats-Unis, François Durpaire est souvent présent sur la chaine d’information en continu BFM TV pour parler du pays de l’Oncle Sam. Il est revenu dans l’Open Zone sur les tueries que connaissent régulièrement les Etats-Unis. Le 14 mai dernier, un suprémaciste blanc a tué 10 personnes dans un supermarché à Buffalo avant de se rendre. Cette tuerie s’inscrit dans un contexte où les attaques avec armes sont très nombreuses comme l’indique l’association Gun Violence Archive qui décompte déjà cette année plus de 200 fusillades, ayant occasionné de nombreuses victimes aux Etats-Unis.
La première puissance mondiale connaît paradoxalement un nombre considérable d’attaques avec armes à feu. François Durpaire explique que cela vient du fait qu’il y a deux problèmes unis dans un même axe avec d’une part la question des armes à feu et des fusillades de masse. « Les armes à feu c’est des dizaines de milliers de morts chaque année ne serait-ce que par accident, parce que quand il y a des armes à feu aussi répandues dans la société, je pense à tous les enfants qui prennent les armes de leurs parents et qui sans faire exprès se blessent ou pire encore. Les fusillades de masses sont un problème aussi plus spécifique » dit le spécialiste des Etats-Unis. « Huit des vingt fusillades les plus meurtrières des Etats-Unis ont eu lieu depuis 2014 ». Pour François Durpaire, cela veut dire que c’est un phénomène assez répétitif mais qui s’aggrave parce qu’aujourd’hui ce sont des armes de guerre qui sont utilisées comme les fameux AR15 . « Le tueur de Buffalo a acheté une arme bridée du fait des lois en vigueur dans l’Etat de New York et l’a débridé. L’arme qu’il avait entre les mains au moment de la tuerie c’est une arme qu’ont les soldats sur les théâtres de guerre ». « Ça c’est le premier problème, la question des armes » ajoute t’il.
Le deuxième problème est celui du racisme. Pour François Durpaire, « à ce niveau là, je n’ai pas de meilleures nouvelles à vous annoncer puisque là aussi le problème augmente ». « On constate depuis trois ans une augmentation de 55% des associations dites de suprémacistes blancs » complète-t’il. A propos du fait de savoir si les Etats-Unis sont un pays beaucoup plus raciste que la France, le spécialiste des Etats-Unis pense que : « l’Histoire des Etats-Unis est différente de celle de la France. Les Etats-Unis ont pratiqué l’esclavagisme sur leur territoire, en France ce n’est pas la même problématique ». « Aujourd’hui c’est difficile de faire des comparaisons, mais ce qu’on peut dire c’est que les actes racistes, violents, brutaux comme ceux qu’on a connu très récemment, font des Etats-Unis un pays qui est à part, avec une violence meurtrière liée au racisme qui prend des proportions très importantes ».
L’auteur de la tuerie de Buffalo a justifié son acte par la théorie complotiste du « grand remplacement », qui a pris place dans les débats lors de l’élection présidentielle française. François Durpaire ne sait pas si cela pourrait occasionner des attaques semblables sur le sol Français. Toutefois, il rappelle que des tueries ont eu lieu notamment en Allemagne et en Nouvelle-Zélande et qu’en cela les Etats-Unis n'est pas le seul pays occidental touché par ce type d’attaques. Le fait que la théorie du « grand remplacement » ne soit pas américaine mais française, en est l’une des causes selon le spécialiste des Etats-Unis.
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Photo : DR