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Daniella Bastien : « la ravanne est le symbole des peuples de l'océan Indien »


Publié le 23.12.2020


INTERVIEW – La ravanne, un tambour traditionnel, symbolise l’histoire du marronnage mauricien. L’artiste Daniella Bastien, joueuse de Ravanne, évoque ce son qui résonne en elle et ses origines ancestrales.

Qu’est-ce que la ravanne à vos yeux ?

La ravanne est l’instrument qui me connecte à moi-même. De par son histoire, sur le sol mauricien, parce qu'il faut rappeler que l'instrument circulaire avec une peau d'animal est présent dans toutes les civilisations. Elle a été portée par la population servile et a été l'instrument (dans son sens d'outil) sur lequel se déposait le malheur de cette population. Donc, en jouant de la ravanne, je me place dans cette lignée d'hommes et de femmes... 

Diriez-vous que ce son à une résonance chamanique ?

Dans les sociétés traditionnelles, jouer d'un instrument est symbolique car cette musique accompagne les rituels. Au fil du temps, les percussions sont entrées et utilisées dans « la vie profane ». Je dirai que certains rythmes de la ravanne ont une résonance chamanique.

Quelle serait l’origine primaire de cet instrument ?

On ne le sait pas. On voit l'instrument plus petit sur les papyrus et les sculptures. En fait, depuis la nuit des temps, les femmes surtout jouaient d'un instrument circulaire avec une peau d'animal dessus, que ce soit en Perse, en Égypte, chez les Amérindiens, en Irlande et au Maghreb.

Selon vous, est-elle l’essence de la mauricianité ?

Je pense plutôt que l'instrument, avec la ravanne de Rodrigues, les tambours de la Réunion et des Seychelles, symbolise la résilience de ces peuples « esclaves » sur ces îles. Le rythme ternaire est partagé. Les textes se ressemblent sur beaucoup de points. Mais de là à dire que l'instrument est l'essence de la mauricianité, non. C'est trop « enfermant ». Je préfère plutôt dire que la ravanne est le symbole des peuples de l'océan Indien.

La culture créole au contact de la culture indienne a conduit à la mauricianité, à une culture métissée et épicée venue d’ailleurs. Pourriez-vous nous en dire plus ?

C'est très réducteur de dire cela. On pourrait expliquer la mauricianité par les divers courants migratoires, de pensées, d'échanges que Maurice a connus depuis la venue des premiers colons.

Pourtant la ravanne a pris du temps pour être acceptée par tous les Mauriciens. Pourquoi ?

La ravanne était l'instrument utilisé par les esclaves. Elle est restée pendant longtemps dans cette frange de la population et de leurs descendants. L'acte de naissance moderne du « sega tipik », ayant comme instrument principal la ravanne, est à la fin des années 1960 lors de La Nuit du séga au pied de la montagne du Morne. C'est lors de cette soirée où Ti Frer, ségatier mauricien, monte pour la première fois sur scène. C'est aussi lors de cette soirée qu'on voit les Mauriciens danser le séga sur scène. À partir des années 1970, avec la mouvance des ségas engagés et la valorisation de la langue créole, la ravanne est partout. Si l'instrument a pris son temps pour être accepté par la majorité des Mauriciens, les préjugés persistent toujours. Les joueurs de ravanne sont des "cholos" (terme péjoratif). Avec l'inscription du sega tipik comme patrimoine mondial de l'humanité, aujourd'hui le sega avec ses instruments a une reconnaissance internationale. Il place Maurice comme un lieu de création d'une musique unique au monde.

Photo : Daniella Bastien


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